Histoire.....vraie
Le «49er», vif petit loup de la mer
Par Pierre GRUNDMANN — 23 septembre 2000 à 04:42
Sydney envoyé spécial
«Nous sommes un peu les hooligans de la baie de Sydney», dit Jeremy Sharp. Grand, les cheveux grisonnants, il a 50 ans et plutôt l'air d'un cadre supérieur dans une entreprise de télécoms. Ce qu'il est dans le civil, d'ailleurs. Mais tous les week-ends, il enfile son short, son polo de tête brûlée des mers et prend la barre de son bateau, la Kawasaki Ninja de la voile, le 18 footer, le 18 pieds. «Je suis venu d'Angleterre en 1978, purement pour les 18 pieds. Si on aime régater sur petits bateaux, les 18 footers sont les meilleurs, et Sydney, le meilleur endroit au monde.» Aujourd'hui, il est président du Sydney Flying Squadron, le club de voile qui a inventé le bateau et organisé les premières compétitions, en 1891.
Gros cube. En théorie, le 18 pieds est un dériveur, un «dinghy» sans pont ni quille. En pratique, c'est une étrange embarcation, presque aussi large (5,20 m) que long (5,60 m), avec ses échelles de chaque côté et les trapèzes où s'accrochent les trois équipiers. Le mât, de 11 m, porte une surface de voile phénoménale, jusqu'à 120 m2, avec un spi de 38 m2, qui donne au bateau une puissance, une vitesse, une accélération de gros cube. Mais moins de manoeuvrabilité.
Trop puissant, trop extrême, trop imprévisible, trop «australien» pour une régate olympique. Mais le principe d'un dériveur léger ultrarapide a séduit les sages de l'Isaf, la fédération internationale de voile, qui voulaient des compétitions spectaculaires à Sydney. Après Atlanta, ils ont étudié et accepté les plans d'un architecte de 18 pieds, Julian Bethwaite. «J'avais dessiné le premier prototype en 1987, sur une nappe de restaurant, après un bon repas, dit-il. J'ai dû le modifier pour respecter l'esprit olympique, mais ce sont les autorités de la voile qui se sont adaptées à mon projet, pas le contraire.»
Le nouveau bateau olympique, baptisé 49er (Fortyniner) a été «européanisé», dit Jeremy Sharp. «Il est plus simple, plus facile à fabriquer.» Emmené par deux équipiers, il est moins long, (4,90 m, d'où son nom), moins large (2,90 m), avec un mât de 8,55 m. Et emporte moins de voilure.
Rebelles. Le 18 pieds, à Sydney, est une institution, née d'une idée révolutionnaire. Comme les rugbymen avaient créé une ligue professionnelle, le XIII, contre les amateurs fortunés du XV, les marins rebelles de Sydney ont inventé le 18 pieds pour faire la nique aux gentlemen des vénérables yacht-clubs qui refusaient que les régatiers soient rémunérés.
Dans les années 30, les régates de 18 pieds attirent des publics considérables, qui suivent les courses depuis les ferries. Les bateaux, poussés par des constructions de voiles baroquissimes, emportent des équipages d'une quinzaine de personnes. Aujourd'hui, la ferveur est un peu retombée malgré les retransmissions télé. Mais les fanatiques se retrouvent encore, chaque week-end, pour des régates endiablées.
Les 18 footers sont ultrarapides (record officiel: 38 noeuds) et surpuissants: ils peuvent tirer des skieurs nautiques. «Une montée d'adrénaline», dit Bethwaite. Mais ils sont très durs à manoeuvrer, dessalent souvent. Le bateau, sous spi, accélère très vite et peut changer brusquement de cap. «On se sent continuellement sur le fil du rasoir, dit Jeremy Sharp. Quand le bateau marche bien, c'est la sensation la plus forte qui existe. Mais quand ça va mal, ça va vraiment très mal. Les collisions avec d'autres bateaux sont nombreuses. On passe notre temps à gueuler pour les prévenir. On n'a pas une très bonne réputation.»
Acrobates. Le 49er est presque aussi rapide que son cousin australien (record officiel : 34 noeuds). «C'est une énorme sensation, confirme Jean-Pierre Salou, de l'équipe française. C'est un bateau très léger, il glisse, accélère et décélère très vite, au gré du vent. Au portant, le 49er va moins vite. Au près, c'est à peu près pareil.» Et il est à peine plus docile. «On peut sortir avec des vents de 30 noeuds, poursuit le Français. Le problème, c'est quand la mer est formée. On dessale assez vite. Le bateau est instable, il lui faut de la vitesse pour trouver l'équilibre. C'est un bateau pour acrobates.»
Après 12 régates sur 16, la paire française (Dimitri Deruelle et Philippe Gasparini) était 11e vendredi. Les Australiens, emmenés par une star du 18 pieds, Chris Nicholson, sont sixièmes... Naufrage en vue .
Pierre GRUNDMANN